Lore-Anne Vienot-Trillou endométriose
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Rencontre avec Lore-Anne Viénot-Trillou, pharmacienne et fondatrice d’EndoAct France

Publié le 
14/5/2024
« Les pharmaciens et les préparateurs en pharmacie ont les compétences et l’envie d’aider les patientes atteintes d’endométriose. » 

Dans la ville, comme dans la vie, il y a un signe que l’on cherche couramment, qui rassure souvent, qui soulage parfois : celui d’une croix lumineuse verte, indiquant une pharmacie. Et nous avons toutes et tous des souvenirs d’officine, encore plus si l’on souffre de maladie chronique. Moi je me souviens de quelques pharmaciens et pharmaciennes. Celui qui, en 2013, m’a, avec beaucoup de bienveillance, bandé la cheville et prêté des béquilles, lorsque je m’étais lamentablement vautrée en talons sur les pavés mouillés de Montmartre. Celle qui, alors que j’étais en déplacement, m’a dépanné d’une plaquette de pilule alors que je n’avais qu’une photo (floue) de mon ordonnance sur mon téléphone. Celle qui, lorsque j’avais 30 ans, me voyant souffrir très régulièrement - en moyenne une fois par mois - d'infections urinaires, m’a demandé si j’étais déjà allée voir un(e) urologue (urologue qui a résolu mon problème et accessoirement sauvé ma vie sexuelle). Celle qui, en 2021, lors d’un test Covid, a fait des blagues à ma fille et a réussi à la détendre alors qu’elle lui mettait un IMMENSE coton-tige dans le nez.

Lore-Anne Viénot-Trillou est une pharmacienne dont on va retenir le nom. Tout simplement parce qu’à 37 ans, elle est la première en France à s’être mobilisée autour de la question de l’endométriose, et qui, quotidiennement - vous le verrez dans cet entretien - s’ingénie, via le réseau EndoAct France qu’elle a fondé, pour que les pharmaciens et pharmaciennes soient correctement formés. L’objectif : repérer, orienter, informer, accompagner les femmes atteintes de la maladie. Originaire de Lyon, Lore-Anne Viénot-Trillou s’y est ré-installée récemment pour travailler en tant qu’associée au sein d’une pharmacie du 5ème arrondissement. Un travail qu’elle cumule avec son projet EndoAct et sa vie de famille (elle est mariée et a trois enfants). Nous sommes un matin gris de janvier. Après notre rendez-vous Lore-Anne a une visio avec une Agence Régionale de Santé. Pourtant, elle n’affiche aucun signe de stress ni de fatigue : juste une voix calme et un grand sourire. Rencontre avec une professionnelle de la santé, engagée dans la reconnaissance du rôle du pharmacien et de la pharmacienne au sein de la lutte contre l’endométriose.

 

Ma première question est une question assez classique dans mes interviews pour le magazine Lyv : quel est votre parcours, et quand avez-vous entendu parler d’endométriose ? 

Je suis diplômée de la faculté de Lyon. Puis j’ai fait un master 2 en Éducation thérapeutique à Bobigny. Grâce à ce master, j’ai commencé à réfléchir à comment amener l’éducation thérapeutique à la pharmacie, comment on pouvait arriver à mieux accompagner les patients. En parallèle, j’ai fait deux DU (diplômes universitaires), un en phyto-aromathérapie et un en nutrition et micronutrition. Lorsque j’ai commencé à faire des consultations, dans un centre pluriprofessionnel, j’ai rencontré beaucoup de patientes, et notamment des patientes atteintes d’endométriose. Mais… je ne connaissais rien à l’endométriose !

 

Vous n’aviez pas été formée, à la fac ?

Non, ce n’était pas dans notre parcours. On a pourtant six ans d’études ! Je me suis un peu sentie démunie, au début. Je ne savais pas comment répondre aux besoins et aux attentes de mes patientes. Et donc, très vite, en m’intéressant à l’endométriose, j’ai appris que cela concernait plus d’une femme sur dix et je me suis dit : il y a forcément quelque chose à faire en officine. Il faut que les équipes officinales, que ce soient les pharmaciens ou les préparateurs en pharmacie, soient formés à la maladie, et puissent mieux prendre en charge les patientes.

 

Comment vous-êtes-vous formée ?

Progressivement Je me suis d’abord rapprochée des associations de patientes – EndoMind et EndoFrance. Ensuite je me suis rapprochée de RESENDO, le réseau ville-hôpital, qui proposait une journée de formation. J’ai lu pas mal d’ouvrages, notamment celui d’Erick Petit, Delphine Lhuillery, Jérôme Loriau et Éric Sauvanet, Endométriose: Diagnostic et prise en charge (Elsevier Masson 2020). Cela m’a permis d’avoir une base pour mieux comprendre la maladie, et pour créer, avec d’autres collègues, un référentiel de compétences pour les pharmaciens.

C’est à ce moment-là que vous avez créé un questionnaire ?

Oui, j’ai construit le dispositif EndoAct France en 2021. C’est un questionnaire qui se fait au comptoir de l’officine. J’ai d’abord testé sa faisabilité sur Aix-en-Provence, là où je travaillais, en formant des équipes officinales. L’idée était alors de poser des questions, sans support papier, et d’étudier l’impact de ce questionnaire sur les femmes et sur l’équipe.

 

Et alors, quel était l’impact ?

Cela a été très bien accueilli. Les femmes étaient enthousiastes et nous remerciaient d’avoir pensé à leurs douleurs, de les avoir écoutées. D’un point de vue de l’équipe officinale, ça a été aussi bien accepté, dans le sens où cela les valorisait dans leurs fonctions, tout en prenant peu de temps au comptoir. Je me suis rapprochée d’experts sur Aix-en- Provence - des gynécologues et des radiologues- et je leur ai présenté le questionnaire. Ces professionnels de santé l’ont aussi bien perçu, ils y ont vu un moyen de mieux repérer la maladie, et ainsi de mieux orienter les patientes.

 

À l’issue de ce questionnaire, si vous releviez des informations faisant suspecter une endométriose, vous donniez le contact d’un spécialiste, c’est ça ?

Oui, et celui-ci était prévenu à l’avance. Cela se faisait de manière coordonnée. En 2022, j’ai expérimenté le questionnaire à plus grande échelle, sur la région Rhône-Alpes-Auvergne, avec le groupement Hello Pharmacie. Ils ont sélectionné pour moi les vingt plus grosses pharmacies du groupement dans la région, et j’ai formé à distance les équipes pour que le dispositif se mette en place. Comme à Aix, j’ai contacté tous les hôpitaux, les centres experts aux alentours pour savoir s’ils étaient favorables à la mise en place de ce dispositif. J’ai eu des réponses favorables, avec une réserve sur le fait que les délais d’attente des rendez-vous étaient longs. On a expérimenté le dispositif pendant trois mois. Le principe était de poser spontanément les questions au comptoir, et si le professionnel estimait qu’il faut orienter, à ce moment-là ces mêmes questions étaient matérialisées sous forme d’un questionnaire papier, c’étaient des cases à cocher. Cela permettait d’avoir une trace de l’acte. Une copie était remise à la patiente, une autre m’était retournée. J’ai récupéré en trois mois cent-cinq questionnaires. Mais je me suis rendu compte que j’avais soit des sous-adressages, soit des sur-adressages.

 

Cela veut dire quoi ?

Cela veut dire que de temps en temps, les pharmaciens et préparateurs orientaient alors que cela ne nécessitait pas forcément d’orientation, alors que d’autres fois il fallait orienter, et ce n’était pas fait. Donc, en 2023, je me suis dit : il faut que je reprenne ce questionnaire. Et c’est à ce moment-là que j’ai créé le Score EndoAct, qui permet d’objectiver la question : est-ce que je dois, oui ou non, orienter la femme vers une recherche d’endométriose, vers un examen d’imagerie et un examen clinique.

Pharmacie endométriose

Ce dispositif, Score Endo Act, il est seulement présent dans vingt pharmacies de la région Rhône-Alpes ?

Pour l’instant, oui, mais on va lancer ce dispositif prochainement pour les régions pilotes qui le souhaitent. Cela va être porté soit par les Unions Régionales des Professionnels de Santé (URPS) Pharmaciens, soit par les Agences Régionales de Santé (ARS). La région Bourgogne, la région PACA, la région Île-de-France sont intéressées. L’idée est d’avoir ces régions pilotes pour mettre en place ce dispositif à plus grande échelle. J’ai mis en place une formation, certifiée DPC, qui se déroule en distanciel, ce qui me permet d’avoir des professionnels dans toute la France. Dans cette formation, il est question du questionnaire, je présente également des cas de femmes atteintes d’endométriose à différents niveaux et différents stades, et enfin on parle de tous les traitements, incluant notamment la nutrition.

 

Justement, en parlant de traitement, est-ce que les ordonnances sont pour vous un moyen de repérer des femmes potentiellement atteintes d’endométriose ?

Oui. On a ce regard transversal car on voit des ordonnances avec parfois des sur-prescriptions d’opiacés, et qui sont inadaptées à la prise en charge de ces patientes. On arrive alors à interagir avec des médecins généralistes, pas forcément formés. Par ce dispositif, on arrive à ce qu’ils prescrivent des examens d’imagerie, à ce qu’ils orientent vers d’autres professionnels, et à ce que petit à petit la pathologie soit potentiellement diagnostiquée. C’est dans des cas comme cela qu’on voit qu’on peut avoir un impact. La stratégie nationale de 2022 consiste à dire : nos professionnels de proximité sont les médecins généralistes, les gynécologues et les sage-femmes, mais finalement la pharmacie, avec son rôle de sentinelle, pourrait avoir un impact plus important, notamment dans la réduction du retard de diagnostic.

 

Un « rôle de sentinelle », c’est quoi selon vous?

Les sentinelles, c’est comme ça que l’on appelle les médecins et infirmières scolaires, qui ont un rôle de repérage, pour limiter le sous-adressage ou le sur-adressage. Pour ce rôle de sentinelle, on pense souvent à eux et non aux pharmaciens. Alors que, concernant les pharmaciens, il n’y a pas de désertification médicale. Il y en a partout.

En vous écoutant me parler du questionnaire, qui se fait au comptoir de la pharmacie, je me demandais s’il n’y avait pas de gêne de la part des femmes, notamment des plus jeunes, à aborder la question des règles, ou bien celle des douleurs pelviennes ou vaginales, dans un espace ouvert au public…

Ce que j’ai remarqué et ce que les équipes ont remarqué, c’est que comme les questions sont progressives, qu’elles sont ouvertes, et qu’on a une posture d’empathie et d’écoute, on va instaurer une confiance avec la personne en face de nous. La gêne ne se ressent pas. Et si jamais ça se présente, on a souvent dans nos pharmacies, avec nos nouvelles missions de prévention santé et d’accompagnement (la vaccination, les tests Covid, le test rapide angine etc.) des espaces de confidentialité. Si on ressent de la gêne, on a la possibilité de s’isoler avec la personne. Je pense d’ailleurs qu’on va aller de plus en plus dans ce rôle-là. Si avec ces nouvelles missions on peut aider les gens, et désengorger les salles d'attente, tant mieux.

 

Y’a-t-il le parcours d’une femme, qui, grâce au questionnaire, a finalement été orientée et diagnostiquée, qui vous a marqué ?

Oui, tout à fait. Cela s’est passé il y a quelques mois. C’était une patiente qui a aujourd’hui 22 ans, et qui venait à la pharmacie depuis 2019, seule ou avec ses parents. Elle avait une surconsommation d’opiacés, une prescription d’antidépresseurs, et une contraception de type oestroprogestative. Un jour, je lui pose les questions du questionnaire EndoAct, et elle ressort avec un score de trois sur quatre. Je lui parle d’endométriose, et elle me dit qu’il y a quelques années, elle avait fait une échographie, mais qu’on lui avait dit qu’elle n’avait rien et que les douleurs étaient normales. Je lui parle du fait que la pharmacie est engagée dans un dispositif de repérage et d’orientation de femmes susceptibles d’être atteintes de la maladie et que si elle le souhaite, je peux lui remettre le questionnaire, à transmettre à son médecin généraliste. Elle est enthousiaste. Lors de son rendez-vous suivant avec son médecin, celui-ci lui prescrit un examen d’imagerie. Pas une écho, mais une IRM cette fois-ci. Elle a rendez-vous quatre jours plus tard. Et quatre jours plus tard, son papa arrive à la pharmacie, et nous remercie. Il nous dit : « elle a de l’endométriose ». Elle est repassée quand je n’étais pas là, et elle avait une ordonnance avec du Dienogest 2mg, plus de Tramadol mais à la place de l’Acupan à prendre en cas de crises. Un mois plus tard, elle avait une nouvelle prescription avec uniquement des antalgiques de palier 1. Pour moi, c’était très satisfaisant : ses douleurs avaient nettement été améliorées par la prescription de Dienogest. C’était une vraie victoire.

 

Vous occuper d’EndoAct vous prend, j’imagine, beaucoup de temps. D’où vous vient votre motivation, votre engagement ?

En fait, j’ai deux amies proches qui sont atteintes de la maladie. Je les ai accompagnées. Et devant leur détresse, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose à mon échelle. Que j’avais les compétences pour pouvoir développer des choses à l’officine. Lorsque j’ai écrit un livre sur comment conseiller et accompagner les femmes souffrant d’endométriose à l’officine, j’ai encore appris énormément de choses sur la maladie et la prise en charge des patientes. C’était passionnant : on n’a jamais fini d’apprendre ! Et enfin j’ai passé du temps, dans les associations, avec des patientes, à écouter leurs témoignages. Les métiers de professionnels de santé, ce sont des métiers de vocation. On doit aider les patients à se sentir mieux. Les pharmaciens ont longtemps été critiqués, car c’est vrai que l’on a la double casquette : on est à la fois commerçant et professionnel de santé. Et on a souvent été dépréciés et limités au rôle de commerçants, alors que le sens de l’histoire va dans le sens du développement de professionnels de santé. Si vous vous intéressez aux équipes officinales, elles ont toutes la motivation d’aider le patient, et de travailler en partenariat avec les autres professionnels de santé. Le fait de nous voir encore absents des protocoles, des recommandations des textes de la Haute Autorité de Santé ou bien du CNGOF (Collège national des gynécologues et obstétriciens), c’est décevant. On a les compétences pour aider ces patientes, et surtout on en a l’envie. C’est ce qui me pousse chaque jour à continuer le projet.

 

Propos recueillis par Camille Emmanuelle.

Source

Lore-Anne Vienot-Trillou endométriose

Camille Emmanuelle

Rédactrice en chef du mag' Lyv
Auteur et journaliste, spécialisée sur les questions de sexualités, de genre, et de féminisme.

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