Eric Sauvanet gynécologue endométriose
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Rencontre avec Éric Sauvanet, chirurgien-gynécologue-obstétricien, spécialiste de l’endométriose

Publié le 
30/5/2022
« Il faut que les professionnels se forment, pour que les femmes leur fassent confiance »

« Je devais couper le cordon, d’une façon ou d’une autre ». C’est ainsi que le docteur Éric Sauvanet explique sa situation actuelle, quand on le rencontre. On a envie de lui répondre que pour un chirurgien-gynécologue-obstétricien, c’est un comble. A 65 ans, Éric Sauvanet ne reçoit plus de patientèle. Jusqu’à l’année dernière, il était chef de service à l’Hôpital Saint-Joseph à Paris, mais il a dû arrêter cette activité pour des raisons de santé. Pour autant, il n'a pas tout arrêté, loin de là. Il fait de la formation et de l’organisationnel. Un mot, ou plutôt un verbe, pourrait résumer son engagement : transmettre. À ses jeunes collègues, aux professionnels de santé, aux femmes souffrant d’endométriose également (il est notamment le co-auteur de Tout sur l’endométriose avec Erick Petit et Delphine Lhuillery, aux éditions Odile Jacob). Le cordon « clinique » est peut-être coupé, mais pas celui qui le lie au serment d’Hippocrate, dont un des préceptes est : « promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux ». Rencontre avec un gynécologue au cœur de la lutte contre l’endométriose.

Dr Sauvanet, vous vous occupez entre autres de la mise en place de la filière Endo Sud Île-de-France, pouvez-vous nous expliquer ce que c’est. 

C’est un objectif de santé publique, mis en place par Agnès Buzyn et réactivé par Emmanuel Macron en janvier 2022 (dans le cadre du lancement de la stratégie nationale de lutte contre l'endométriose – NDLR). Cela touche tout le territoire français. En Île-de-France, il y a quatre filières, et la nôtre s’appelle Endo Sud, puisqu’elle comporte le sud parisien, le sud du 92, le Val de Marne et l’Essonne. Plusieurs hôpitaux et associations de malades sont chargés de construire cette filière. L’objectif est de fédérer les professionnels dans le parcours de soin des malades : leur permettre de trouver à côté de chez elles, dans des délais de rendez-vous corrects, un premier recours. Il s’agit également de former des professionnels de santé - gynécologues, généralistes, sages-femmes, ostéopathes, kinés, nutritionnistes- à propos de cette maladie complexe qu’est l’endométriose.

 

Quel est votre parcours, comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’endométriose ?

J’ai fait mon internat à Tours et j’ai eu la chance d’avoir une formation très polyvalente, je me suis formé en obstétrique et en gynéco de façon très large. Quand je suis monté à la capitale, à la fin de mon clinicat, j’avais le choix entre le libéral et l’hospitalier, mais comme je savais déjà que j’avais une maladie chronique, je me suis orienté vers une carrière hospitalière. Je suis devenu chef de service adjoint, puis chef de service à la maternité de Notre Dame de Bon Secours. En 2006-2007, les difficultés financières ont fait que nous avons fusionné avec l’Hôpital Saint-Joseph. Je me suis dit, à ce moment-là, qu’il fallait fonder non pas un mais deux services : un service de gynécologie chirurgie, et un service de maternité. J’ai dirigé celui de chirurgie gynécologique. Et dans Saint Joseph, il y avait un gars, qui était là, un peu comme un zombie (il sourit). Il s’appelait et s’appelle toujours Erick Petit (médecin radiologue). Et donc il faisait du lobbying pour l’endométriose. Moi j’étais un gynécologue comme un autre : j’en avais vu, certes, mais ce n’était pas au centre de mes préoccupations. Il a fini par me convaincre - car c’est un vrai militant -, que cette maladie, dont tout le monde se foutait, méritait qu’on s’y intéresse. Je me suis dit qu’il avait peut-être raison. Il m’a dit : « On va créer une consultation dédiée à l’endométriose, on va voir comment ça va fonctionner ». On a ouvert une consultation tri-disciplinaire, avec un chirurgien gynécologique, un radiologue et un chirurgien digestif. Et rapidement, il y a eu une forte croissance. Il est devenu évident qu’il fallait créer un centre d’endométriose. On y a agrégé les médecins anti-douleurs - il y avait un centre anti douleurs à Saint-Joseph - de la nutrition, un urologue, plusieurs gynécologues. Mais l’affaire n’était pas terminée. Notre lobbyiste en chef Erick Petit a dit : “il faut créer un réseau ville-hôpital, parce que là, on est débordés”. On a créé ensemble Résendo, un réseau associant l’hôpital à des professionnels de ville. Nous n’étions à l’époque que quatre services à s’intéresser à cela, à Paris : il y avait Cochin, nous, Tenon aussi, mais avec une orientation très chirurgicale, et le service de Pierre Panel à Versailles. Petit à petit, les associations de malades ont fait elles aussi leur part de lobbying auprès du ministère et ont obtenu la reconnaissance de cause nationale, en 2018.

 

Et vous vous êtes ainsi spécialisé en endométriose…

Oui, mais je n’ai jamais dédié 100% de mon activité à l’endométriose, comme Horace Roman, dont j’ai lu l’interview sur votre site. J’avais construit une patientèle autour de l’obstétrique et j’aimais bien à la fois accoucher les femmes, les ré-accoucher parfois, leur faire un suivi, de la prévention, les accompagner dans la ménopause, travailler sur le cancer du sein, etc. Je ne me suis pas entièrement spécialisé sur l’endométriose. Au grand dam d’Erick Petit ! C’était aussi un choix stratégique pour l’hôpital. On a aussi monté le centre du fibrome, le centre de la pathologie du sein et également un service de proctologie, le premier en France.

Eric Sauvanet / ©Lyv 2022 par Thomas Decamps

 

En consultation, que proposiez-vous principalement comme traitement contre l’endométriose ?

Au départ, il y avait beaucoup d’hormonothérapie. C’était le traitement premier. Dans 30% des cas, il fallait recourir à la chirurgie parce que le traitement n’était pas suffisant. Mais attention, ce n’est pas le chirurgien gynécologue, mais bien la malade qui décide où elle met le curseur de sa qualité de vie. Les patientes, il faut leur demander : "comment jugez-vous votre qualité de vie ?” Si elles ne savent pas répondre, on leur demande : “est-ce que vous êtes en arrêt de travail ? Combien de jours par mois ? Qu’est-ce que vous prenez comme médicament ? Combien de comprimés ? Etc”. Et là vous vous faites une idée de leur qualité de vie. En fonction de cela, vous orientez votre traitement. Pour les formes complexes notamment, il faut toujours réfléchir à : est-ce que la chirurgie va être plus bénéfique que la maladie n’est délétère ? Il faut faire attention à ne pas transformer quelques symptômes d’endométriose qu’on peut améliorer, en des symptômes parfois définitifs de complications chirurgicales.

Il y a une deuxième question que je leur posais toujours, à la fin de ma consultation, car tout était imbriqué pour elles -les signes pelviens, les signes extra pelviens, la fertilité, les problèmes sexologiques, etc. - je leur demandais : “qu’est-ce qui vous gêne le plus ?” Certaines me disaient : « le bébé ça peut attendre moi c’est ma qualité de vie qui compte », d’autres me disaient : « ma qualité de vie ça va à peu près, je veux un bébé, c’est ma priorité ». En fonction de cela, en fonction de l’âge, et évidemment de leur particularité d’endométriose, vous orientez la patiente vers un traitement plutôt qu’un autre.

 

Proposiez-vous seulement pilule ou chirurgie ?

Non bien sûr. L’hormonothérapie reste une thérapie de référence, mais elle est devenue plus compliquée à mettre en place. Il y a une méfiance qui s’est installée. Les femmes nous ont poussé à nous former à d’autres techniques pour obtenir une qualité de vie correcte : la nutrition anti-inflammatoire, la fasciathérapie, l’ostéopathie, les techniques de relaxation, le Tens, etc. Petit à petit, on a eu des alternatives autres que chirurgicales ou hormonales. On a appris, nous les gynécologues spécialisés sur l’endométriose, associés à nos collègues spécialisés sur la douleur, à proposer tout cela aux patientes.  

Et ce que je dis toujours, c’est qu’il faut les examiner. Déjà il faut leur demander si elles ont envie, car il y a des jours où on n’a pas envie d’être examinée. Et ce n’est pas forcément à la première consultation. Mais le petit bassin n’est pas fait que d’organes gynécologiques. Et donc l’examen consiste, avec un doigt – et pas deux parce que c’est douloureux – à faire le tour des structures ostéo ligamentaires du bassin et à comprendre exactement ce qui est douloureux ou pas. Si, par exemple, ce sont les muscles pyramidaux qui sont douloureux, parce qu’ils ont été figés par la douleur, ce n’est pas l’opération qui va vous aider. Cela va au contraire rajouter de la douleur à la douleur. Il faut être attentif notamment aux patientes qui sont très algiques, avec des lésions d’endométriose très modérées.

Pourquoi cela ?

Elles ont probablement un dérèglement du système neuro-végétatif de la douleur. On a appris également que le cerveau était l’amortisseur de la douleur, et que si vous avez eu des stress traumatiques terribles, comme les agressions sexuelles, qui sont bien plus fréquentes que ce que l’on pense, cela peut expliquer des discordances entre l’intensité de la douleur et des lésions d’endométrioses modérées. Il faut être vigilant à cela. C’est pour cela qu’on doit faire de l’éducation thérapeutique auprès de nos collègues.

Justement, on parle de plus en plus de la maladie, la recherche a avancé, il y a la stratégie nationale de lutte contre l'endométriose, la presse s’y intéresse de plus en plus, et pourtant elle reste mal diagnostiquée. Comment expliquez-vous cela ?

En effet, il y a en moyenne sept ans de retard de diagnostic. Le problème, c’est qu’on peut rentrer dans la maladie par plusieurs symptômes. Si on a la « chance » de rentrer par un symptôme gynécologique, souvent le gynécologue y pense. Mais après, il faut prescrire le bon examen par le bon praticien. Aujourd’hui, la difficulté, c’est que 80% des échographies pelviennes en France n’explorent pas la région où se trouve l’endométriose, c'est-à-dire l’espace postérieur. Il faut prendre le temps de faire des stages chez des praticiens spécialisés en dépistage de l’endométriose. La deuxième chose, c’est que les gynécologues ont disparu.

Eric Sauvanet / ©Lyv 2022 parr Thomas Decamps

 

Oui, entre 2007 et 2020, la France a perdu 52,5% de ses effectifs de gynécologues médicaux…

Et qui les remplacent ? Les sage-femmes. Entre parenthèses, on a déplacé le problème car il y a de moins en moins de sage-femmes pour faire des accouchements. Ces sages femmes sont souvent sensibilisées à la question de l’endométriose, mais elles ont besoin de formation et elles ont besoin qu’on leur élargisse le champ des prescriptions.

Troisièmement, on peut rentrer dans la maladie par plusieurs symptômes. Celle qui va rentrer dans la maladie par le symptôme digestif, en disant qu’elle est ballonnée tout le temps, elle va voir le gastro-entérologue. Et le gastro-entérologue et l’endométriose, on est à des kilomètres de formation ! Celle qui va rentrer par le biais des symptômes urinaires, elle va voir son généraliste qui va lui prescrire un ECBU (examen cytobactériologique des urines – NDLR) ou une écho, sauf que l’endométriose est au niveau des nerfs qui innervent la vessie, dans ce fameux espace postérieur. L’ECBU revient négatif alors on va lui dire : « je sais pas, ça doit être dans votre tête ». Certaines rentrent par le biais de la rhumatologie, elles ont des douleurs scapulaires pendant leurs règles. Le rhumatologue va rarement penser à l’endométriose. Comme le diagnostic n’est pas fait, certaines rentrent par l’infertilité. Quand elles arrivent en FIV, on découvre alors qu’elles ont de l’endométriose. Ce qui est important, pour les professionnels, c’est qu’ils prescrivent une IRM pelvienne, car aujourd’hui les radiologues commencent à être formés. Là, il y aura diagnostic.

 

Quels sont les messages clés que vous donneriez aux femmes souffrant d’endométriose ?

Il y a une chose qu’on ne leur dit pas suffisamment, c’est qu’il y a peu de formes qui évoluent défavorablement. C’est-à-dire qu’une fois que vous avez une forme diagnostiquée, disons vers 25-30 ans, vous avez souvent la forme anatomique définitive. Vous n’allez pas passer d’une forme ligamentaire à une forme qui va envahir la vessie ou le rectum. C’est exceptionnel. Ce n’est pas comme le cancer. Beaucoup de femmes s’imaginent que parce qu’elles saignent un peu – même avec le traitement hormonal- la maladie progresse, que ça va toucher les trompes, etc. Non. Les formes sont souvent stabilisées sur le plan anatomique. Là où elles ne sont pas stabilisées, c’est sur le plan symptomatique. C’est important de les rassurer là-dessus.

 

Comment voyez vous l’avenir de la lutte contre l’endométriose ?

Il y a eu beaucoup de progrès ces dernières années. Dans un service comme le nôtre, une patiente peut voir trois ou quatre spécialistes dans la journée, c’est bien. On est en train de mailler le territoire, ça c’est très bien, mais il faut savoir qu’il y a des territoires qui ne sont pas maillés, ce sont les DOM-TOM. La Martinique, la Guadeloupe et la Guyane particulièrement. Il faut qu’on s’organise pour que les femmes viennent à Paris. Beaucoup de femmes sur place souffrent d’endométriose et peu sont prises en charge, il y a du boulot !

Après, comme c’est un objectif de santé publique, il faut que les professionnels se forment, et rapidement, pour qu’ils soient autonomes et pour que les femmes leur fassent confiance. Si elles n’ont pas confiance, elles vont errer, à la recherche d’informations. Enfin, il faut que les professionnels aient un discours cohérent. Ce qui est angoissant pour une patiente c’est le discours incohérent, quand un lui dit blanc et un autre lui dit noir. Un truc que je ne supporte plus, et qu’on entend tout le temps, c’est quand le professionnel de santé se fait juge. Quand il dit : « ah madame, vous avez de l’endométriose, il faut faire un enfant le plus vite possible ». Quid de sa vie privée ? Elle n’a pas de partenaire, elle a 22 ans, elle ne va pas faire un bébé parce qu’elle a de l’endométriose, ça n’a pas de sens. Combien de fois j’ai entendu ça : « mon médecin m’a dit de faire un bébé le plus vite possible ». C’est l’angoisse : vous avez l’horloge biologique et l’horloge de l’endométriose ! C’est un professionnel non formé qui dit ça. Donc la cohésion du discours est très importante. Moi je vois bien, je suis malade, quand un chirurgien vous dit A et un autre vous dit B, lequel a raison ? C’est angoissant. La cohésion du discours, aujourd’hui, est primordiale.

 

Merci Dr Sauvanet.

Source

Eric Sauvanet gynécologue endométriose

Camille Emmanuelle

Rédactrice en chef du mag' Lyv
Auteur et journaliste, spécialisée sur les questions de sexualités, de genre, et de féminisme.

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