“Congé” + “menstruel”: deux mots qui ne semblent pas faire partie du même champ lexical. Et pourtant… on devine facilement de quoi il s’agit : le fait de bénéficier d’un congé pendant ses règles douloureuses. Révolution du monde du travail ou fausse bonne idée?
Avant toute chose, je vais vous raconter la petite anecdote qui m’a fait réfléchir sur le congé menstruel. J’étais en stage au Mans dans une petite entreprise du secteur automobile. Un matin, impossible de me lever à cause de mes règles. Chaque vague de douleur me semble différente : parfois elle est longue et dense, parfois longue mais gérable, parfois courte mais intenable. J’ai l’impression que l’arythmie est voulue comme un plaisir sadique auquel je ne peux échapper. La douleur mouvante s’ajoute à des effets secondaires qui rendent la chose encore plus belle : de la température comme si cela n’était pas assez dur, des maux de tête comme si j’étais en lendemain de fête et des nausées qui arrivent maladroitement à me faire bouger de mon lit pour retrouver l’évier.
Alors dans ce flot de douleurs physiques et d’épuisement psychologique, je saisis le téléphone pour appeler mes boss et leur dire que je ne pourrai pas venir. J’ai beaucoup de chance, ils me répondent : « Pas de soucis ! Qu’est-ce qui ne va pas ? As-tu besoin de quoique ce soit ? » Je marque un petit temps de pause. Que dois-je répondre à la question : « Qu’est-ce qui ne va pas ? » Deux options. Option 1 : « Je me sens barbouillée, j’ai des nausées et je suis super fatiguée. Je vous tiens au jus de mon état demain matin. » Option 2 : « J’ai mes règles. ». Pour la concision et surtout une vérité qui ne doit pas être honteuse, je choisis la réponse 2.
Le lendemain, je retourne au bureau, puis les mois passent et chaque premier jour de règles, j’avertis mes collègues que je ne vais pas pouvoir venir. À la fin de mon stage, mon boss me parle du congé menstruel et me demande ce que j’en pense. Là, je me retrouve un peu conne parce que je ne sais pas ce que c’est. Alors, je fais des recherches et j’essaie de me faire un avis sur la question. En voici donc le résultat !
Le congé menstruel est un dispositif légal qui permet aux personnes réglées souffrant de dysménorrhée, d’endométriose, ou de toute autre maladie ayant un impact négatif lors des menstruations de pouvoir jouir d’un ou de plusieurs jour(s) d’arrêt de travail rémunéré(s) pendant leurs premiers jours de règles.
Pour le petit brin d’Histoire, le concept est né au Japon en 1925 et entre officiellement en vigueur en 1947. En 1948, l’Indonésie lui emboîte le pas. Aujourd’hui, le congé menstruel est présent dans sept pays dans le monde, dont les Philippines, la Corée du Sud et l’Italie (voté en 2017). En France, ce dispositif n’est pas inscrit dans le droit du travail malgré quelques (timides) apparitions dans l’espace médiatique depuis 2017.
C’est en 2021 que la première entreprise française, la Scop La Collective, adopte le congé menstruel par un accord expérimental à l’initiative d’une des salariées de l’entreprise. La Collective donne, de fait, aux femmes un congé supplémentaire par mois, pouvant être posé le jour même, avec comme seule démarche d’envoyer un mail à l’attention du directeur.ice administratif. De son côté, l’exécutif de la SCOP met un point d'honneur sur la confidentialité des informations fournies par la salariée.
Mis à part cet exemple concret, le congé menstruel manque cruellement de cadrage en France. Le flou reste entier quant aux questions : pour qui ? Combien de jours ? Comment ? Quelle est l’entité compétente à ce sujet : l’employeur ? La sécurité sociale ? L’assurance maladie ?
On ne sait toujours pas s’il est nécessaire, ou non, de justifier par un document médical de son incapacité d’exercer lors de ses menstruations. Sous réserve que cela soit nécessaire, se pose alors la question de la confidentialité des informations données par les salariées.
Pour en revenir à des questions pratico-pratiques : combien de jours sont nécessaires pour ce fameux congé ? Et là… encore, compliqué de statuer au vu des différences de pathologies, des vécus, etc.
Comme évoqué précédemment, on remarque que l’adoption de ce genre de dispositifs au sein des entreprises n’est pas une mince affaire, puisqu’il est difficile de l’uniformiser.
Mais au-delà de ces questions, les résultats du congé menstruel se révèlent mitigés. Ce dispositif connaît un déclin au sein des premiers pays adoptants. « Au Japon, en 1965, 26% des Japonaises utilisaient le congé menstruel, contre moins de 1% aujourd’hui. » (2). Cette diminution serait liée au tabou des règles au sein de la société japonaise, car « l’imaginaire collectif japonais estime qu’une femme travaille moins bien en période de règles. » (3). ces résultats timides s'ajoutent les réticences des premières concernées. Selon certains collectifs féministes, ce dispositif serait stigmatisant car cela renverrait la femme à son corps, avec tous les stéréotypes autour des règles. Deuxio, cela pourrait renforcer des discriminations à l’embauche. Tertio, cela insinuerait que les femmes sont plus fragiles pendant leurs menstruations ou qu’elles ne peuvent exister dans l’espace public pendant cette période. Ou encore, que la responsabilité doit être replacée auprès des organismes compétents, soit l’assurance maladie qui devrait prendre en charge financièrement ces pathologies.
Enfin bref, la généralisation du congé menstruel deviendrait un dispositif contre-productif… Sauf que le débat se situe en vérité autre part.
Ce dispositif est intrinsèquement lié à d’autres enjeux plus profonds. On peut ici penser au tabou des règles au sein de notre société, mais aussi aux pratiques médicales qui perpétuent des mécanismes misogynes et laissent à l’abandon des pathologies exclusivement féminines, à l’image de l’endométriose. Enfin, on pense également à la disqualification des femmes, du fait de leur fonctionnement biologique, au sein de l’entreprise.
Car oui, il y a encore beaucoup de boulot sur la normalisation des règles au sein de notre société. On entend encore que « les règles sont sales », la liste des euphémismes pour les menstruations n’a pas tant diminué Il y a aussi beaucoup de boulot sur la compréhension de pathologies propres au féminin et sur la recherche de traitements contre des maladies encore méconnues, mais répandues, comme l’endométriose (Et c’est ce à quoi Lyv a envie de contribuer!) Plus largement, cela pose la question de la femme au sein de l’entreprise. Comment navigue-t-on dans un système qui a été construit par et pour les hommes ? Ce système induit trop souvent les femmes à être prise en étau dans un non-choix :
- Si tu acceptes le congé menstruel, tu risques d’être reléguée au second plan de l’entreprise (même si, fort heureusement, ce n’est pas systématique, certaines boîtes appliquent ce congé avec bienveillance)
- Si tu n’acceptes pas, tu souffriras tout en faisant mine d’être au top de ta forme (et ça, chaque mois…).
Aucune de ces situations n’est acceptable, mais comme le dit si bien cette phrase trop souvent intériorisée par les personnes sexisées : « il faut faire avec ».
Après m’être penchée sur ce débat, j’ai eu le même pressentiment qu’explicite l’auteure Elise Thiébaut. Selon elle, ce débat « est un prétexte pour taper sur les féministes et pour empêcher qu’on aborde le sujet des règles de façon légitime. (5) Comme la question du congé menstruel divise -même au sein des cercles féministes- ça pourrait devenir un incroyable vivier pour des détracteurs aux élans masculinistes de dire : “Ah ! vous avez vu, même les féministes ne sont pas d’accord entre elles”.
Ce genre de manœuvres sont courantes dans le simple but de décrédibiliser des causes qui méritent des réponses (qu’elles soient ou non le congé menstruel). Donc je comprends que l’on puisse dire « Non ! » au congé menstruel, puisque cela interpelle et n’incite qu’à effleurer des sujets de fond qui méritent d’être plus largement traités. Cependant, selon moi, si on prend le congé menstruel comme un outil de libération de la parole autour du tabou des règles et d’autres pathologies liées au cycle féminin en entreprise, alors pourquoi pas !
Comme le spécifie Julia Hollingsworth dans son article Les femmes devraient-elles avoir droit à un congé menstruel ? : « la raison pour laquelle les femmes ne prennent pas de congé menstruel est en partie due à la culture qui entoure les menstruations. Ainsi les femmes craignent que prendre des congés menstruels puissent entraîner une discrimination de la part de leur employeur. » (6) Cet argument est concomitant avec les chiffres japonais (voir au-dessus). Alors ne nous méprenons pas, ce n’est pas le congé menstruel qui est inefficace mais bien les mécanismes du patriarcat qui le rendent inefficace.
La domination des hommes dans les structures de pouvoir (ici de l’entreprise) sanctionne les personnes sexisées (ici les personnes menstruées) par le biais de discriminations (discrimination à l’embauche par exemple). Le blâme ne doit pas concerner le congé en lui-même mais doit pointer du doigt les causes de son inefficacité dues en grande partie aux mécanismes de la société patriarcale.
Même si le dispositif semble peu clair - du fait de sa nouveauté dans les pratiques d’entreprises européennes- il a au moins le crédit de remettre le tabou des règles dans l’agenda politique des entreprises (voire même plus largement au sein des débats de société). Néanmoins, le congé menstruel ne pourra se pérenniser que s’il y a un effort global de lutte contre les discriminations au sein des entreprises. C’est bien ce qu’a compris l’entreprise Your Super avec l’instauration d’un jour par mois de télétravail intitulé « Do what you can day » pouvant être pris avant (pour les personnes souffrant du syndrome prémenstruel) ou pendant les règles. La cofondatrice Kristel rappelle très justement que le congé menstruel ne doit pas être simplement l’apanage d’une nouvelle mesure à la mode pour l’insérer dans son rapport RSE mais qu’il doit être un des moteurs pour « adapter le monde du travail aux besoins spécifiques des femmes. »
Le congé menstruel reste une question ouverte qui ne peut pas trouver de réponse unique. Il doit être l’occasion de libérer la parole sur le sujet des règles, et ainsi plus largement, sur les violences subies en entreprises. Ces dernières sont alimentées par le sexisme mais aussi par un productivisme acharné. C’est parce qu’on touche à la notion de travail et de productivité que ce dispositif a en partie mauvaise presse. Il est alors indispensable de penser ce type de congé au regard du cadre général dans lequel il s’insère. Cela peut être donc une mesure efficace si, et seulement si, un processus d’évaluation, puis de déconstruction des processus des violences (aux diverses causes) au sein de l’entreprise est engagé.