Sophia Rakrouki
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Rencontre avec Sophia Rakrouki, sage-femme spécialisée dans la préservation de la fertilité.

Publié le 
3/7/2023
« Quand les femmes viennent me voir en préservation de la fertilité, certes elles veulent congeler des ovules, mais c’est aussi un questionnement sur la maternité, leur couple, etc. »

Elle n’avait pas prévu d’être sage-femme. Sophia Rakrouki voulait, au départ, devenir médecin. Mais elle a eu des problèmes de santé en première année de fac de médecine et s’est inscrite dans le cursus de sage-femme, pensant ensuite faire la « passerelle », la procédure permettant un accès direct en 2ème ou 3ème année aux sages-femmes diplômées. Finalement, elle s’est passionnée pour ce versant de la médecine dédiée à la femme. Elle n’a pas fait la passerelle, mais s’est spécialisée dans la préservation de la fertilité. Quand je la rencontre un après-midi de printemps du côté de Ménilmontant, et que je la vois aussi passionnée par son métier, je me dis que c’est une bonne nouvelle pour elle mais aussi et surtout pour de nombreuses femmes, pour toutes ses patientes. À 30 ans, Sophia exerce à la fois au Centre d'Assistance à la Procréation de l'hôpital Jean-Verdier à Bondy et chez « Jeen », un nouveau centre dédié à la santé des femmes dans le 11ème à Paris. On décide de se tutoyer dès le départ. Elle parle vite, avec un léger accent (elle est née à Sète), et checke régulièrement ma compréhension : « Tu me suis ? », « C’est clair pour toi ? ». Elle a raison de le faire :  la préservation de la fertilité est un domaine assez complexe. Rencontre avec une praticienne solaire, énergique et pédagogue autour des questions de fertilité, de parcours de soin, et d’endométriose.

Pourquoi as-tu choisi de travailler dans ce domaine ?

Je ne voulais pas faire de la maternité, ce n’était pas mon truc. Je voulais faire quelque chose en lien avec la santé de la femme, mais au départ, je ne savais pas trop quoi exactement. Parallèlement, j’ai fait un master de recherche, et mon stage de master s’est déroulé dans un laboratoire qui créait les tests de réceptivité endométriale - ce sont des tests que l’on fait pour mettre l’embryon au bon moment. C’est ce qui fait que j’ai commencé à m’intéresser à la préservation de la fertilité, aux avancées scientifiques dans ce domaine. Quand je suis arrivée à Paris, après mes études à Montpellier, j’ai passé mon diplôme d’échographie à Necker, en gynéco-obstétrique, puis j’ai postulé pour devenir sage-femme coordinatrice en préservation de la fertilité à Jean-Verdier. J’ai été formée notamment par Michaël Grynberg, et je suis là-bas depuis 7 ans.

Est-ce que tu peux nous expliquer en quelques mots ce qu’est la préservation de la fertilité, et quel est ton rôle exact dans ce processus ?

En réalité je n’aime pas trop ce mot. Car dans l’inconscient collectif, préservation de la fertilité égale congélation d’ovules. Or la fertilité, c’est également : est-ce que j’ovule bien, est-ce que ce que j’ovule est de qualité, est-ce que ma trompe fonctionne, est-ce que le spermatozoïde arrive à monter, est-ce que l’embryon se crée dans la trompe, est-ce qu’il peut aller dans l’utérus, est-ce que l’utérus peut implanter l’embryon, en terme morphologiques, en terme génétiques, en terme immunitaires ? C’est tout cela la fertilité, et c’est tellement complexe que c’est ce qui fait qu’au maximum, tu n’as que 25% de chances par cycle de tomber enceinte. Il y a 75% d’interrogations. Et donc je n’aime pas trop le terme « préservation de la fertilité » car il donne l’impression que si tu congèles ton ovule, tu préserves ta fertilité. Non, tu préserves un élément parmi d’autres. Lorsque tu arrêtes de fumer, tu préserves tes trompes. Si tu utilises des préservatifs, tu préserves également tes trompes des IST.  Bien sûr, quand tu congèles, tu as une qualité ovocytaire, mais tu n’as pas d’emprise sur le sperme du mec, sur tes trompes, sur ton immunité, etc. Je trouve cela trop réducteur, et c’est une trop belle promesse. Cela étant dit, la préservation de la fertilité, aujourd’hui, c’est principalement la congélation des ovules. C’est le fait de congeler tes ovules à l’instant T, pour que si jamais plus tard tu reviens et que tu as des difficultés avec les ovules que tu as à ce moment-là, tu en aies potentiellement de bonne qualité.  Alors si c’est dans 1 an, tu auras peut être congelé pour rien parce que la qualité n’aura vraisemblablement pas beaucoup évolué, étant donné qu’il y a de la perte (quantité et qualité) lors du processus de congélation… Cela étant, le gain avant 35 ans n’est pas le même que le gain après 35 ans.

Sophia Rakrouki, sage-femme / ©Lyv 2023 par Thomas Decamps

Comment cela ?

Quand tu perds 1 an à 32-33 ans, c’est rien. À 37-38 ans, c’est quelque chose. C’est faux de dire qu’on n’est plus fertile après 35 ans, mais la notion de temps n’est plus la même. C’est important d’être dans la nuance sur ces sujets. Ce qu’on ne dit pas également, c’est que nous, soignants, on est moins bons, lorsque la patiente dépasse 35-37 ans. Il y a un moment où on ne peut plus trop l’aider. Attention, quand on dit : après 35 ans, la fertilité baisse, ce n’est pas tout à fait ça. Mais nos études nous montrent que quand tu transfères un embryon issu d’une FIV avant 35 ans, il a tant de pourcentage de chance de s’implanter, en revanche quand tu l’implantes après 35 ans, il y a une chute de ce pourcentage, il y a un vrai gap. On a pris ces résultats, et on les a extrapolés à la vie réelle. Il faut écouter ces études. Et il faut aussi nuancer :  on n’est pas toutes pareilles. Il y a des femmes ce sera 35 ans, d’autres 40 et tant mieux pour elles, d’autres ce sera 32. Il fallait bien trouver une moyenne.

Oui, ce n’est pas le jour de notre anniversaire de nos 35 ans que notre fertilité baisse…

Voilà. Et il y a un autre truc qui me fascine, c’est qu’on accepte énormément la différence, chez les individus. On sait qu’il y a des gens qui sont forts en sport, d’autres non, qu’il y a des grands, des petits, des blonds, des bruns. Mais on n’accepte pas cette différence en termes de fertilité. Quand je fais des échographies et que je compte dix follicules à droite et quinze follicules à gauche, on me demande pourquoi c’est pas symétrique. Ou bien une femme peut me dire : j’ai un cycle très irrégulier, je n’ai pas mes règles tous les 10 du mois. Or on n’est pas des robots ! Le problème, c’est que quand tu ne sais pas comment ça fonctionne, tu imagines des schémas qui ne correspondent pas à la réalité. 

Quelle est ton expertise spécifique de sage-femme, dans ce processus de fertilité ?

Je vais te raconter une journée type. Je reçois une patiente le matin sous forme d’HDJ (hospitalisation de jour). On va effectuer plusieurs actes médicaux : prise de sang, échographie, etc. Elle vient avec un problème : un cancer, de l’endométriose, un kyste qui va être opéré. Mon but, c’est d’abord de lui expliquer pourquoi ce qu’elle a risque d’impacter sa fertilité, ou pas. Je vérifie tous les antécédents médicaux, pour vérifier notamment si la stimulation ne va pas avoir un impact plus délétère que la maladie en elle-même, et je fais la balance bénéfice-risques. J’en profite pour faire un point avec la patiente sur tout ce qui est gynécologie et fonctionnement ovarien. Cela dure 2 heures au moins. Je fais l’échographie, je compte les follicules, je vérifie qu’il n’y a pas de choses particulières qui impacteraient la ponction. Et ensuite avec mes collègues, nous décidons de la prise en charge.

Qu’est-ce qui fait que vous refusez une prise en charge ?

C’est quand on pense qu’on ne peut pas l’aider. C’est une balance bénéfice-risque, toujours. Il faut que «le geste» en vaille la chandelle pour la patiente. Il y a aussi quelque chose qu’on ne dit jamais, mais moi je tiens à le dire, c’est qu’il y a un coût. Chaque stimulation, c’est jusqu’à 5000 euros pour la sécurité sociale. C’est entièrement remboursé. Et donc une patiente qui est en couple, qui a un projet d’enfant pour dans 6 mois, et qui préfère congeler au cas où, on ne le fait pas. On la revoit dans 6 mois. D’autres patientes me disent : pourquoi en Espagne, la préservation de la fertilité c’est jusqu’à 38, 39, 40 ans. Mais c’est parce qu’après 37 ans, le rapport bénéfice-risque scientifique n’est plus favorable. Plus tu avances dans l’âge, plus il faut congeler, plus il y a des risques hémorragiques lors de la ponction. Quand j’explique cela aux patientes, elles le comprennent. Toutes les patientes comprennent la prise en charge ou la non prise en charge, il faut juste prendre le temps d’expliquer.

Sophia Rakrouki, sage-femme / ©Lyv 2023 par Thomas Decamps

 

Est-ce que tu as beaucoup de patientes qui souffrent d’endométriose ?

Oui, c’est 70% de mes patientes, environ. Ces patientes me touchent beaucoup. (Elle marque un silence.) Quand elles viennent me voir, je ne m'inquiète pas de leur fertilité. 30% d’entre elles vont avoir une dysfertilité, pas une infertilité. « Dys » ça veut dire un dysfonctionnement. 70% d’entre elles vont avoir un enfant sans problème. Donc oui c’est un facteur de risque, il faut leur en parler, mais ne pas les inquiéter outre mesure. Ce qui me touche, chez elles, c’est que ce sont souvent des patientes qui pendant vingt ans ont eu mal, et on leur a dit que c’était dans leur tête. Elles ont eu des rapports sexuels qui leur faisait mal, alors que c’est censé donner du plaisir. Elles ont parfois été sous pilule depuis très longtemps, et pour certaines ça a eu un impact sur leur libido et leur humeur… Parfois elles ont dissocié leur corps douloureux avec leur tête. Quand je les vois, je me dis qu’elles n’ont pas assez de suivi. Cela m’arrive souvent de les voir pleurer en fin de consultation, tout simplement parce que je leur ai parlé. Alors qu’on est à Paris, ce ne sont pas des patientes isolées, elles ont vu plein de praticiens !

Est-ce que ces patientes atteintes d’endométriose doivent faire une préservation de la fertilité plus tôt que les autres femmes ?

Oui et non. Il ne faut pas être alarmant. Mais plus on le fait tôt, moins il y a besoin de le faire, plus ça a un intérêt. Quand tu fais une PF (préservation de la fertilité) à 25 ans, il te faut une dizaine d’ovocytes, ça suffit compte tenu de leur qualité. Quand tu viens à 35 ans - et je comprends tout à fait que l’on vienne à 35 ans, on a fait des études, on n’a pas rencontré la bonne personne, etc - et bien à 35 ans il en faut une vingtaine. Plus tu le fais tôt, moins il y a de risques.

Est-ce que la stimulation hormonale, ou bien encore la ponction, créent davantage de douleurs chez les femmes qui ont de l’endométriose ?

Si, c’est possible. Le mécanisme de la douleur de l’endométriose est complexe. Déjà, souvent les patientes qui ont de l’endométriose sont sous progestatif au long cours. Et dans notre protocole, on peut stimuler sans interrompre cette pilule. Elles n’ont alors pas de règles et pas de douleur pendant la stimulation. Maintenant, la ponction, point d’interrogation. Cela dépend des adhérences. L’endométriose est une maladie inflammatoire qui crée des accolements. Si ton ovaire est collé à ton utérus, et que ton ovaire grossit, cela va tirer sur les adhérences, et donc ça peut créer des douleurs passagères. Quand je vais toucher avec mon aiguille l’ovaire, je vais le mobiliser, ça peut tirer. Mais ça, on ne peut pas le prévoir en avance. 

La loi sur la PMA ouverte aux femmes célibataires et aux couples de femmes a-t-elle changé ton métier ?

Michaël Grynberg a dit dans une interview : « les patientes ont eu le droit de s’inscrire sur une liste d’attente ». Il a soulevé un point intéressant. Le problème, c’est que la loi a permis que tout un pan de la population ait accès à la PMA, et c’est tant mieux, mais on était déjà en sous-effectifs. Et donc dans ces cas-là tu as deux solutions : soit tu charges la mule, et tu fais plus que ce que tu devrais en termes de ponctions et de consultations, soit tu dis « je ne fais pas plus », et du coup le temps d’attente passe de trois mois d’attente à un an et demi d’attente. Nous on a décidé de charger un peu la mule, on a 8 mois d’attente. Le souci, donc, c’est que la loi n’a pas fait suivre les budgets tout de suite.

Sophia Rakrouki, sage-femme / ©Lyv 2023 par Thomas Decamps

 

Tu as choisi de travailler dans la pré-naissance, et non dans la naissance. J’ai une question un peu… « cucul » : ça ne te manque pas, les accouchements, les bébés ?

Tu sais pourquoi cela ne m’attire pas ? Je pense que j’ai été dégoûtée par mes études, par certains stages en obstétrique. La maternité, c’est un monde qui est très dur. Je pense qu’on est toutes bienveillantes à la base, mais le système – la tarification à l’acte, les nuits, le fait qu’à l’hôpital on te dit rarement quand tu bosses bien – tout cela crée une ambiance très dure, qui fait que tu peux te retrouver maltraitante. Et puis dans mes souvenirs d’accouchement, ce qui me faisait kiffer ce n'était pas de voir le bébé sortir, c’était de voir le regard des parents entre eux. L’importance de ce moment. Avec la préservation de la fertilité, j’aime beaucoup assister à tout ce qui se passe avant. Quand les femmes viennent me voir en PF (préservation de la fertilité), certes elles veulent congeler des ovules, mais c’est aussi un questionnement sur la maternité, leur couple, etc. Parfois elles se posent la question : est-ce que j’ai vraiment envie d’un enfant ? Il y a aussi, par exemple, parfois, la question du mec qui depuis 6 ans ne veut pas d’enfant, ça crée des remises en question. Quand je discute avec elles, il y a beaucoup de respect, mais elles ont aussi l’impression de parler avec une copine, elles sont à l’aise. La médecine de la fertilité, c’est particulier. Ce ne sont pas des mains, qu’on opère. Il y a un caractère intime, social, symbolique dans tout cela. Tout comme lorsqu’une patiente écarte les jambes pour une ponction, tu ne peux pas voir ça comme si elles te présentaient leur genou. Tu ne peux pas le dissocier de tout ce qu’il y a autour.

Demain, je suis présidente de la République et je te nomme ministre de la Santé. Que feras-tu en premier pour ta profession ?

Pour les sage-femmes, je leur donnerais la possibilité de devenir docteures en maïeutique. Quitte à rajouter des années d’études. Ensuite je revaloriserais leur salaire. On est payées au lance-pierre.

Et pour l’endométriose ?

Il y a beaucoup de choses à faire. Mais je trouve qu’on a trop eu tendance à déresponsabiliser les patientes. Si tu leur expliques le mécanisme, elles comprennent. Toutes. Ensuite, il faudrait mieux former les médecins au dépistage, même s’il y a eu du progrès dernièrement à ce niveau. Le féminisme a fait bouger les choses : pendant longtemps une femme qui avait mal, c’était normal. Les choses bougent, lentement, mais elles bougent.  

 

Merci Sophia.

Propos recueillis par Camille Emmanuelle.

Source

Sophia Rakrouki

Camille Emmanuelle

Rédactrice en chef du mag' Lyv
Auteur et journaliste, spécialisée sur les questions de sexualités, de genre, et de féminisme.

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