Dr Michael Grynberg
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Rencontre avec le Dr Michael Grynberg, gynécologue-obstétricien, spécialiste de la reproduction

Publié le 
11/10/2021
« Pour moi une femme qui a une endométriose modérée peut rentrer, au vu du flou de la loi actuelle, dans un programme de préservation de la fertilité. » 


Dès le début de l’entretien, ça nous trotte dans la tête. A qui nous fait-il penser, bon sang ? A 47 ans, Michael Grynberg, gynécologue-obstétricien spécialisé en médecine de la reproduction et préservation de la fertilité, ne s’arrête jamais. Quand il n’enseigne pas à l’université, il est au bloc, quand il n’est pas au bloc, il reçoit sa patientèle en consultation, et quand il ne consulte pas, il va défendre la PMA pour toutes, l’accès à la congélation des ovocytes pour toutes, et parler de l’endométriose dans les médias. Ce samedi matin de septembre, il est off mais… pas vraiment. Il doit emmener ses enfants au tennis. Pourtant son visage reste souriant, avenant, et il insiste, il a tout son temps.  Il me rappelle quelqu’un, mais qui ? Pas mon ex gynéco, c’est sûr, il avait 112 ans… Non, ce serait plus un acteur américain… 

Alors qu’il décrit ses différentes activités, j’ai un nom sur le bout de la langue, c’est agaçant à la fin. J’hésite à le faire parler anglais, juste pour que ça revienne, mais ce ne serait pas professionnel. « Et donc je suis chef de service à l’hôpital Antoine-Béclère à Clamart, je consulte également à l’Hôpital Jean-Verdier à Bondy, où je… » JAKE GYLLENHAAL !!! Voiiiilà !  Ouf, j’ai retrouvé. C’est le sosie français de Jake Gyllenhaal. C’est bon, je peux me re-concentrer et discuter sérieusement avec ce spécialiste d’un sujet compliqué et passionnant : le traitement de l’infertilité.

Camille Emmanuelle : Quand est-ce que vous avez entendu parler de l’endométriose ?

Dr Michael Grynberg : Quand j’ai commencé mes études, on savait ce qu’était l’endométriose. J’en ai un peu entendu parler. Mais on avait l’impression que cela restait quelque chose de rare. On sait aujourd’hui que cela concerne 10 à 15% des femmes, avec des formes plus ou moins sévères. Ce n’est pas du tout ce qu’on me disait quand j’étais étudiant. De fait, j’ai été en contact très tôt avec la maladie, mais sans savoir vraiment que c’était le cas. Faute de connaissance médicale, et par défaut de volonté d’ouvrir les yeux sur cette maladie, qu’on ne comprenait et qu’on ne comprend toujours pas très bien.

Chez les femmes le problème d’infertilité révèle parfois un diagnostic d’endométriose, mais l’endométriose ne cause pas forcément l’infertilité. Quand et pourquoi la maladie est une cause d’infertilité ?

Et bien… on ne sait pas bien ! Le concept de fertilité est très complexe. Il faut savoir que l’infertilité touche 10% des couples environ et 7% viendront un jour consulter un spécialiste . Pour 15% de ces couples, on ne retrouve aucune cause pour expliquer les difficultés à concevoir. Cela veut dire que tous les marqueurs actuellement disponibles dans le cadre du bilan d’infertilité sont normaux. Lorsque l’on fait un diagnostic d’infertilité, il nous manque des marqueurs de la qualité des ovules et de la qualité des spermatozoïdes. La quantité peut être bien ou pas bien, ce qui fait que ça marche, c’est la qualité. Et là on n’a pas de marqueurs. 

Dans le cas de l’endométriose, il y a la situation où l’endométriose atteint et bouche les trompes. Elle génère l’infertilité, c’est simple à diagnostiquer. Les chirurgies des ovaires répétées sont aussi un facteur de risques. Enfin, si elle endommage totalement la fonction ovarienne et qu’il n’y a plus d’ovules, et que cela s’apparente à une ménopause précoce, on comprend ce qui se passe. Mais après, il y a toutes les situations très complexes de femmes qui ont une endométriose sévère et douloureuse, et qui ne sont pas infertiles. C’est très étonnant. Il y a des femmes qui ont des ventres blindés d’adhérences, et qui tombent enceinte ! D'ailleurs, la majorité des femmes avec endométriose sont fertiles. A contrario il y a des femmes qui ont des endométrioses très très légères et qui sont infertiles. Mais cela se rapproche plus de l’infertilité sans cause retrouvée. On sait qu’il y a un lien, mais la corrélation n’est pas extrêmement forte.

Aujourd’hui vous proposez à vos patientes la préservation de la fertilité, est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi cela consiste ?

Il s’agit du prélèvement et de la conservation des ovocytes par vitrification. Il faut savoir que la loi est en train de changer, par rapport à la préservation de la fertilité. Jusqu’à il y a quelques semaines, la préservation de la fertilité ne pouvait pas être réalisée quand les femmes n’avaient pas de motif médical. Ce qui fait qu’on était obligés de prouver une cause pour justifier de pouvoir congeler. L’endométriose est une cause toute trouvée, on pouvait dire : il y a un lien, je suis dans le cadre de la loi. Mais comme je vous le disais tout à l’heure, une endométriose superficielle n’explique pas forcément une infertilité, donc on se rapprochait plus de la préservation sans motif médical. Pourtant, ces femmes pouvaient à un moment donné ne plus avoir une fonction ovarienne suffisante pour pouvoir bénéficier d’une PMA le moment où elles le voudraient. Elles étaient alors orientées vers le don d’ovules. C’est pourquoi, pour ces femmes-là, je proposais, et propose toujours la conservation ovocytaire.

Dr Michael Grynberg / ©Lyv 2021 par Thomas Decamps

C’est de la prévention ?

Ce sont des femmes qui ne connaissent pas leur statut vis-à-vis de la fertilité, dont on pense que la fonction ovarienne va se détériorer, parce qu’elles vont être opérées, ou parce qu’il y a des kystes d’endométriose qui vont les rendre à risque de ménopause précoce. Si elles ont besoin de traitement de la fertilité à un moment donné dans leur vie, il est possible que le traitement ne réponde pas, car leurs ovaires ne seront plus assez riches en ovules. Si cela arrive, ces femmes ne peuvent pas bénéficier d’une PMA avec leurs propres ovules, mais doivent être orientées vers du don d’ovocytes.

En fait, la préservation de la fertilité vise à créer une espèce d’étape intermédiaire. Ces femmes pourront si besoin sortir leur joker : « mes ovaires ne répondent pas aujourd’hui, vous ne pouvez pas me mettre dans un protocole de PMA, mais comme j’ai congelé mes ovocytes avant, j’ai ce joker. Si ça ne marche pas, je vais avoir besoin du don d’ovocytes mais j’aurais au moins eu la possibilité d’essayer avec ce que j’avais congelé ». Ce n’est pas le bon terme d’ailleurs, préservation de la fertilité, parce qu’on ne préserve pas la fertilité à proprement parler. On ne connaît pas la qualité des ovules, on ne sait pas chez qui ça va marcher ou pas. C’est de la préservation d’ovocytes.  On espère préserver la fertilité, mais on n’est pas du tout certains de le faire. C’est pour ça que c’est compliqué, ce n’est pas du tout une garantie pour les femmes.

Pourquoi autant de femmes françaises partent à l’étranger pour congeler leurs ovocytes ?

Parce que jusqu’à présent la loi française n’autorise pas la préservation de la fertilité sans motif médical. Donc les femmes qui ont de l’endométriose, mais pas d’atteinte ovarienne ne sont, en théorie, pas de vraies candidates à la congélation d’ovocytes en France. On considère qu’on est trop proches d’une indication sociétale. Tout cela va être gommé à partir du moment où on pourra congeler pour toutes les femmes, il n’y aura plus de discussions. Elles partiront moins à l’étranger. Alors y’a des médecins comme moi qui aujourd’hui ont un regard plus souple vis-à-vis de cette loi. Peut-être trop. Je juge que non, certains peuvent juger que oui, et penser que je fais du sociétal. 

Mais pour moi une femme qui a une endométriose modérée peut rentrer, au vu du flou de la loi actuelle, dans un programme de préservation de la fertilité. Elle en aura sans doute probablement moins besoin que cette femme qui aurait un risque pour ses ovaires, mais il y a un vrai lien entre infertilité et endométriose, donc on est dans le cadre de la loi. Selon la loi (jusqu’à la prochaine mise en place de la loi bioéthique - NDLR), on peut rentrer dans un protocole de préservation de la fertilité pour toute pathologie dont l’histoire naturelle ou les traitements peuvent endommager la fertilité. L’histoire naturelle de l’endométriose, elle peut se majorer et donner une infertilité. Je ne suis pas là pour aller mettre des bâtons dans les roues de ces femmes qui veulent congeler. Et à mon avis, ça fait bien longtemps qu’on aurait dû le faire, pour toutes les femmes qui le souhaitent.

Dr Michael Grynberg / ©Lyv 2021 par Thomas Decamps

Vous faites partie des premiers gynécologues à vous être engagés sur ce sujet...

Clairement, c’est une conviction. On n’a pas assez de marqueurs de fertilité. Contrairement aux hommes, même s’ils y sont soumis à minima, il y a une vraie horloge biologique chez la femme. On ne sait pas aujourd’hui stopper le temps et empêcher les ovaires de vieillir. Par contre, depuis une dizaine d’années, on sait congeler des ovocytes.

Stimulation hormonale via des injections sous-cutanées, nombreuses prises de sang, ponction sous anesthésie générale ou régionale : on est loin du simple frottis, comme acte gynéco…

Oui, et il faut remettre ça dans son contexte. C’est de la médicalisation pour quelque chose qui n’est pas indispensable : on ne va pas mourir si on ne congèle pas d’ovules. Ce n’est pas vital, et en plus ce n’est pas garanti de succès. Ce n’est pas parfait, mais la seule chose que l’on ait à notre disposition.

Est-ce que vous pensez que l’on parle assez des difficultés de procréation, en France ?

Assez, non. Depuis quelques années, il y a beaucoup moins de tabous par rapport à la fécondation in vitro. On sait qu’il y a aujourd’hui un enfant sur trente qui est issu d’une FIV. Cela s’est démocratisé, on en a moins honte. Le vrai manque en France vient de la culture générale de la population. Je suis atterré de voir le manque de connaissance qu’ont les femmes de leur corps, et de la réalité de leur fertilité. Il faudrait que ça soit enseigné à plusieurs étapes, en fonction de la maturité des gamins, garçons et filles. 


Parce que ce ne sont pas juste les femmes qui doivent avoir connaissance de leur corps. Les hommes doivent  aussi avoir connaissance de leurs corps, et de celui des femmes. Y’a plein de mecs qui bloquent les femmes et qui disent : « Non mais moi je ne me sens pas prêt, je ne me sens pas prêt, je ne me sens pas prêt ». Ils n’ont pas conscience de ce qu’ils font, à des femmes de 36 ou 37 ans, en leur faisant perdre deux ou trois ans ! Pour eux ça ne posera pas de problèmes, pour les femmes ça va en poser. Ce message doit être délivré, en fonction de la maturité, de l’âge, et à plusieurs reprises. Et ce n’est pas du tout fait, aujourd’hui.

Oui sur la procréation et la fertilité, on a un cours de biologie en quatrième, et zou c’est fini.

Oui, ça s’arrête là. Et en quatrième, quelle maturité a-t-on ? Ça rentre par une oreille, ça sort par l’autre. Il y a un vrai manque de connaissance, et il y a aussi la responsabilité des médias. On parle de stars, de femmes de cinquante ans qui racontent leur accouchement, mais elles ne disent jamais que c’est grâce au don d'ovocytes. Cela met une espèce de rêve pour des femmes qui se disent : ok, cinquante ans, y’a pas de problème. Alors que déjà à quarante ans ça devient très compliqué. La PMA devient très complexe à partir de quarante ans, cela ne marche que dans 20% des cas, au mieux. Et ça, les femmes ne le savent pas. Tout miser sur la PMA aujourd’hui, ce n’est pas un bon calcul. C’est tout ça qu’il faudrait apprendre, et rabâcher, pour que dans les choix de vie, des hommes et des femmes, ça se passe avec en trame de fond cette connaissance.

Dr Michael Grynberg / ©Lyv 2021 par Thomas Decamps

 

Comment avez-vous accueilli la nouvelle de l’adoption de la loi bioéthique incluant la PMA pour toutes ?

Ça faisait longtemps qu’on la demandait, j’ai toujours été très militant par rapport à ça. C’est une excellente nouvelle, maintenant moi ce qui me fait peur, ce sont les possibilités de mise en place de cette loi. Aujourd’hui clairement on n’à pas les moyens de la mettre en place. Ni moyens humains, ni moyens financiers donnés dans les établissements de santé. Il y a un gros effet d’annonce politique, mais qui va être compliqué à suivre. On sait déjà qu’on n’aura pas beaucoup de donneurs de sperme. On va avoir des délais de minimum un an, voire plus. Et nous n’avons aucune idée du nombre de donneurs que nous allons avoir, avec le nouveau statut de donneurs non anonymes. On sait que dans tous les pays du monde, cela s’est associé à une baisse du nombre de donneurs. Je ne vois pas pourquoi on ferait exception. On a déjà une pénurie aujourd’hui, donc ça va être compliqué. Mais bon, au moins la loi est passée !

Dr Grynberg, qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier et qu’est-ce qui est difficile ?

Ce qui me plait ? Tout ! (rires) Je suis convaincu qu’avoir des enfants est l’une des choses les plus merveilleuses au monde. J’exerce le métier que j’ai toujours voulu faire. C’est une chance. Je me lève tous les matins avec la conscience de cette chance. Le fait de sentir utile, le côté un peu magique de toucher à la vie, c’est fantastique. Et comme je suis professeur, j’ai une partie enseignement et recherche qui est aussi passionnante.

Ce qui me plait le moins ? Je trouve que je fais trop d’administratif et pas assez de médecine. Je trouve que je n’ai pas assez de moyens à l’hôpital pour le faire. Et je suis frustré car il y a beaucoup de couples qui repartent sans enfant. On n’est pas parfaits dans ce que l’on fait, il y a l’envie d’aider, mais malheureusement il y a quasiment un couple sur deux qui repart sans enfant, après une PMA. C’est très frustrant. Mais c’est aussi aussi une carotte, pour avancer dans nos pistes de recherche.

A votre avis, qui devrais-je interviewer pour Lyv ?

Ce serait intéressant que vous rencontriez des psychologues qui soient pointus sur le sujet de la prise en charge des patientes souffrant d’endométriose.


Merci beaucoup.

Propos recueillis par Camille Emmanuelle.

Source

Dr Michael Grynberg

Camille Emmanuelle

Rédactrice en chef du mag' Lyv
Auteur et journaliste, spécialisée sur les questions de sexualités, de genre, et de féminisme.

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