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Trouver le(la) bon(-ne) psy, de nos jours, c’est un peu comme tomber amoureuse, quand on est une femme hétéro, d’un mec réellement féministe : ça existe, mais c’est rare – et quand on le trouve, on ne le lâche plus.
Le problème, c’est qu’avant d’en arriver là, il faut le dénicher. Et en ce moment, les psys sont débordés : rares sont ceux et celles qui prennent de nouveaux patients, certains proposent bien un rendez-vous… mais dans dix-huit mois. Ensuite, il faut que la formation, l’approche et la personnalité du thérapeute conviennent. On ne fait pas le même travail avec un psychanalyste de 67 ans qu’avec une jeune psychiatre formée à l’EMDR. Sans parler du tarif, du planning, et du fameux « match » qui doit s’installer dès la première séance. Autant dire qu’on coche rarement toutes les cases.
Hasard du calendrier : au moment où je rencontre Marie-Victoire Chopin pour l’interviewer dans son cabinet parisien, je cherche justement un(e) psychologue clinicien(ne) spécialisé(e) en TCC. C’est son cas. Elle est également docteure en psychologie et en sciences du langage, sexologue clinicienne et psychothérapeute. Elle a 43 ans, une voix apaisante, un sourire qui inspire confiance et une intelligence fine. Au bout de trois minutes, je me surprends à penser : « Ouh punaise, je veux absolument qu’elle soit ma psy. » Je dois me raccrocher à mes notes pour me rappeler que je ne suis pas en consultation, mais bien là pour bosser : lui poser des questions sur elle, sur les TCC, et sur l’endométriose… pas lui raconter ma life.
Rencontre avec une thérapeute engagée sur la santé des femmes, qu’elle soit physique, mentale, ou émotionnelle.
J’ai 17 ans d’exercice en psychiatrie, à la fois en psychiatrie de l’adulte et en psychiatrie de liaison. À ce titre, je suis intervenue dans des services « somatiques » : gynécologie endocrinologique, rhumatologie, réanimation, et beaucoup en gastro-entérologie. Je suis par ailleurs docteure en psychologie : je fais de la recherche et je participe à des projets, tout en ayant un exercice clinique hybride, à l’hôpital et en libéral.
Très tôt, pendant mes études de psychologie, j’ai été en contact avec la santé de la femme. J’ai travaillé dans le service du professeur Anne Gompel – à l’époque à l’Hôtel-Dieu, aujourd’hui à Cochin – qui s’occupait notamment de la ménopause et de la ménopause précoce suite à un cancer ou une ablation, et qui s’intéressait aussi à l’endométriose. Ce service a pris en charge des formes peu communes, comme l’endométriose thoracique. L’équipe était formidable, majoritairement féminine, avec un chef d’équipe bienveillant : on y apprenait un savoir-être, de la prévention et de l’écoute. À l’époque, l’ouverture à la psychologie n’était pas si courante ; là, on était vraiment dans la dimension préventive plutôt que de n’intervenir qu’en cas de crise.
Ensuite, je suis passée à Saint-Louis, dans un service de cancérologie (cancer du sein). On s’occupe là de femmes jeunes, parfois avec des cancers d’origine génétique. L’enjeu est d’aider ces patientes à revivre et se reconstruire après une maladie qui bouleverse la fertilité, la parentalité, le projet professionnel : un véritable bouleversement.
Dans le cadre de ma thèse, j’ai aussi travaillé en gastro-entérologie avec la prise en charge de la maladie de Crohn. Les patients concernés sont souvent jeunes, la maladie démarre à l’adolescence ou au jeune âge, avec des conséquences fonctionnelles et esthétiques lourdes. La maladie peut évoluer rapidement, imposer des interventions chirurgicales lourdes ou même une stomie. Pour ces personnes, l’image de soi, la sexualité et l’intimité sont fortement impactées. Mon rôle consistait à les accompagner sur ces volets et à détecter précocement les signes de dépression.
Dans les maladies chroniques, les patients manifestent souvent une résilience remarquable – résilience valorisée par l’entourage et les soignants – mais cette résilience peut devenir un piège : il est difficile de reconnaître sa vulnérabilité, on accumule, on a peur de craquer et on finit parfois par basculer dans une véritable dépression clinique. Le rétablissement alors est beaucoup plus coûteux en temps et en énergie. L’idée est donc d’intervenir de manière préventive et de repérer les signaux faibles pour aider à la reconstruction.

On parle moins de « technique » que d’« approche » ou d’orientation psychothérapeutique. Les TCC restent une possibilité particulièrement intéressante, mais ce n’est pas la seule. Il est essentiel d’évaluer le cas individuellement et systématiquement : la personne, son couple, son environnement familial et professionnel, l’histoire, les valeurs, les attentes. Certaines personnes ne sont pas à l’aise avec les thérapies verbales ; il faut donc savoir doser et adapter la prise en charge. Il peut aussi y avoir des besoins en médication ou une évaluation psychiatrique préalable : la réponse à une psychothérapie ne sera pas la même pour tous.
Les thérapies brèves peuvent être utiles quand il faut gérer la douleur et répondre à des impératifs professionnels ou personnels. Les thérapies comportementales et cognitives (TCC) examinent la façon dont sensations, émotions et pensées interagissent et déterminent nos réactions et comportements. C’est une approche pragmatique, validée scientifiquement par des protocoles reproductibles. On commence par explorer le fonctionnement de la personne et la problématique (questionnaires, entretien), puis on identifie des pensées ou croyances dysfonctionnelles qui peuvent aggraver la situation. L’objectif est de déconstruire ces croyances et d’expérimenter des alternatives pour modifier l’expérience et ouvrir d’autres possibles.
La douleur n’est pas « que dans la tête » : il existe des sensibilités physiques différentes. Mais la manière dont on pense et interprète sa douleur, son diagnostic, son avenir, toutes ces interprétations, influencent le bien-être et les interactions sociales. Certaines problématiques viennent d’un choc récent (diagnostic majeur) qui bouscule des croyances fondamentales ; d’autres confirment des vulnérabilités anciennes. En TCC, on détricote tout cela étape par étape, on repêche les pensées dysfonctionnelles et on travaille des outils concrets pour modifier le vécu. C’est une thérapie « apprenante » : la personne acquiert une méthode qu’elle pourra réutiliser pour d’autres situations de stress.
Oui. Je pense à une patiente dont l’éducation familiale faisait qu’on ne se plaignait pas. Son entourage minimisait ses douleurs – « c’est dans la tête » – ce qui l’a isolée. Même si elle était en couple, la communication était déficiente : elle croyait ne pas avoir le droit de se plaindre, de demander un aménagement au travail, ou même un arrêt. Dans la TCC, on travaille ces pensées dysfonctionnelles – « ai-je le droit de m’autoriser à m’occuper de moi ? » – et on pratique des exercices concrets : apprendre à communiquer sa détresse, demander des aménagements, poser des limites. Le but n’est pas de « guérir » l’endométriose, mais d’améliorer la qualité de vie, de permettre à la patiente de mieux gérer sa maladie et d’être prête à bénéficier d’un arrêt ou d’un traitement quand nécessaire. On renforce l’estime de soi et on donne des outils concrets adaptés à la situation.

Concernant la sexualité, il faut poser la question si on veut en savoir plus. Les patientes expertes n’ont pas de mal à en parler et prennent parfois un rendez-vous en sexo. Malheureusement, ce n’est pas la majorité. J’impose d’ailleurs à mes étudiants d’aborder systématiquement la sexualité dans les entretiens : c’est une question de vie, et elle est importante, que tout aille bien ou qu’il y ait des sujets gênants.
Et en effet lorsque la sexualité pose problème, il faut souvent travailler au moins avec le ou la partenaire, car la question se joue à deux. Si la patiente porte seule la responsabilité, cela déplace le problème sur une « coupable ». Parfois le partenaire, par peur de faire mal, se retire et bloque toute exploration, ce qui inhibe la créativité sexuelle du couple. Mon travail consiste à rétablir le dialogue, à proposer des aménagements et à explorer une sexualité plus créative, au-delà de la pénétration.
L’endométriose est une condition qui évolue : la sexualité aussi est mouvante et peut rester riche et créative. Les scripts culturels, hétéro-normatifs, centrés sur la pénétration, limitent souvent les options. Il faut ouvrir d’autres possibilités – pratiques, positions, jeux, communication – et déconstruire des mythes de performance masculine. On peut s’inspirer d’autres pratiques, explorer, tester ce qui est possible et confortable.
Absolument. Très tôt dans ma pratique, je me suis positionnée sur le créneau de l’adulte jeune – une période charnière où les pédiatres ne sont plus compétents et où les médecins adultes ne savent pas toujours comment accompagner au mieux. Le TDAH, l’expression du spectre autistique, la bipolarité : tout cela peut s’exprimer différemment à l’âge adulte et chez les femmes. Les filles et femmes ont souvent des profils de camouflage social, des intérêts moins stéréotypés, ou une expression moins impulsive qui échappent au repérage classique. À l’inverse, on relève une sur-présence diagnostique de troubles dépressifs et anxieux chez les femmes.
Cela implique une formation et une sensibilisation des médecins, internes, généralistes et spécialistes pour identifier ces profils. La santé mentale exige une prise en charge holistique et personnalisée : l’anxiété ou la dépression peuvent être comorbides et satellites d’autres pathologies. Il n’y a pas « un » modèle qui convient à tout le monde.
Je souligne aussi un point important : les médicaments et protocoles cliniques ont souvent été développés et testés sur des cohortes masculines. Les femmes en âge de procréer sont parfois exclues des essais, par précaution, ce qui crée un manque de données spécifiques et pose des questions sur l’adéquation des traitements. On ne sait pas encore si nos thérapeutiques psychiatriques sont pleinement adaptées au genre ; c’est un champ qui mérite davantage d’études. Il faudrait davantage de données sur la différence homme-femme et également sur les interactions médicament-santé mentale. Dans l’endométriose, on multiplie les traitements (antidouleurs, hormonaux) ; il serait pertinent d’étudier leurs effets secondaires psychiques et leurs interactions.
Oui. Trop souvent. La qualité de vie, le plaisir et la libido sont minimisés comme des « effets secondaires ». Pourtant, la sexualité et le bien-être sexuel sont essentiels. Poser simplement la question – « est-ce que vous avez mal ? est-ce que votre sexualité évolue ? voulez-vous qu’on explore ça avec votre partenaire ? » – ne coûte rien et exige peu de ressources mais demande des réflexes et une vigilance clinique.
Oui : il est important de dire que ce n’est pas parce qu’on a une endométriose qu’on n’a pas d’autre problème médical. La douleur sexuelle n’est pas forcément due uniquement à l’endométriose : infections, mycoses, autres pathologies peuvent en être la cause. Il ne faut pas tout ramener systématiquement à l’endométriose. Demandez de l’aide, signalez vos symptômes : on n’a pas l’obligation d’être le « vaillant petit soldat » qui encaisse tout. Exprimez vos doutes, vos peurs et vos douleurs auprès des professionnels ; c’est leur rôle d’écouter. Sans validation médicale, je ne poursuivrai pas une prise en charge psychologique qui psychologiserait à tort un symptôme d’origine somatique. Le clinicien doit être capable d’entrer en lien avec le médecin, poser des questions, explorer et vérifier l’éventuelle cause somatique avant d’attribuer un problème au psychique.
C’est, pour moi, le cœur d’une démarche intégrative : interroger la personne sur son état de santé global, repérer les difficultés qui entravent le bien-être et orienter vers les ressources adaptées. Car, et c’est une psy qui vous le dit, tout n’est pas « psy ».
Merci Marie-Victoire.
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